J’habite en Ardennes belge, près d’une petite ville appelée Vielsalm, proche du village de Salmchateau, là où coule la Salm. Ces lieux tirent leur nom du saumon (salmo, en latin). Pendant des siècles, il y a abondé. Moi, je n’ai jamais connu les saumons de la Salm. J’aurais bien aimé.  Depuis quelques années, il n’y a plus d’anguilles non plus. Elles parcouraient 6000 km pour venir ici (depuis la mer des Sargasses, au large de la Floride). Un ancien m’a raconté qu’elles remontaient la rivière par centaines, emmêlées les unes aux autres en une sorte de long tuyau vivant. J’aurais bien aimé voir ça, mais je ne le verrai pas : les civelles sont capturées dans les estuaires, pour être transformée en colle ou en aphrodisiaque. Il n’y a plus de lamproies, et les ombres sont bien rares. Je ne vois plus de cingles plongeurs perchés sur les rochers qui émergent de l’eau, et il y a bien longtemps que je n’ai plus aperçu l’éclair bleu du martin-pêcheur. 

Il paraît que Sitting Bull a déclaré un jour : quand ils auront coupé le dernier arbre et péché le dernier poisson, ils comprendront que l’argent ne se mange pas.  Nous y sommes presque. 

Enfin, Il reste quelques truites, en grande majorité des truites d’élevage, que les sociétés de pêche déversent dans la rivière pour le loisir de leurs membres. Elles sont en train de mourir, parce qu’elles ont besoin d’une eau fraiche et bien oxygénée, et il fait 35 degrés. Les touristes sont contents, il fait beau, mais ils ne peuvent plus faire de kayak. Il n’y a plus assez d’eau. Sitting Bull se trompait : nous n’irons pas jusqu’à pêcher le dernier poisson, ce ne sera pas possible, parce que la rivière elle-même est en train de disparaitre. 

Assis sur une grosse pierre jadis immergée, je me suis souvenu des propos prophétiques de Bateson : « Si c’est ainsi que vous concevez votre relation à la nature, et si, en plus, vous disposez d’une technologie avancée, votre chance de survie sera celle d’une boule de neige en enfer » [1].
 
Il aimait à dire que notre tâche la plus urgente est d’apprendre à penser autrement… C’est en cela que la thérapie brève stratégique rejoint sa vision écosystémique :  elle nous invite à nous penser non comme des individus isolés mais au contraire comme des organismes entretenant avec notre environnement des relations d’étroite interdépendance. Nous sommes reliés…
 

[1] Vers une écologie de l’esprit, T 2, p. 218, Seuil 1980 pour la traduction française.